« Buddy... » Me cria Kenny au téléphone.
« Ça va, Ken? » C’était au début du printemps 2018, six mois avant notre périple.
« Je l’ai! »
« Qu’est-ce que t’as?! »
« J’ai le hog. »
« Cool. Où ça? »
« Mont Matier, demain. »
« Dude, je suis à Prince George et je travaille. »
« Lâche ta job, monte dans ton pickup et amène-toi. »
« J’peux pas. J’bosse à mon compte et j’ai juste une van Safari 99 pour le travail. » Mais il savait déjà tout ça.
« Buddy... » Il avait compris que je ne pouvais vraiment pas.
Ce n’est jamais facile de refuser une invitation de Ken. C’est souvent synonyme de « meilleurs moments de ta vie » . Et normalement, ce sont des aventures de quelques jours, tout au plus. Son prochain appel, cependant, allait être différent. Et cette fois, je n’avais pas d’excuse.
« Buddy. »
« Ça va, Ken? »
« J’ai trouvé le hog! » Ça m’a fait rire.
« Parfait, où ça? » Je pensais bien qu’il allait me proposer une autre sortie de ski quelque part au long de l’autoroute Sea to Sky.
« Non, sérieusement je te le dis, c’est la bonne. » Son ton était devenu beaucoup plus sérieux. J’ai arrêté de rire.
Intrigué, j’ai demandé comme à l’habitude : « Où ça? »
« Chilcotin. Du lac quelque chose au lac Chilko à un autre lac. Ensuite, il y a une rivière à traverser, la quelque chose Creek, puis effort physique extrême avant de revenir à Tyax. Donc pour traverser la rivière – il va falloir construire un radeau… L’hydravion, le bateau… Vraiment, c’est LE Hog, Chet. »
Ça me paraissait intense, tellement intense que ça me semblait absurde. Même si j’acceptais, ça ne risquait certainement pas de se concrétiser.
« Super, j’embarque. »
« Ça va être dur, » a répondu Kenny en riant nerveusement. « Huit jours, Chet. Tu devrais commencer à t’entraîner. »
J’ai suivi son conseil, mais maintenant je sais ce que j’aurais dû faire : dormir dehors dans ma cour, me réveiller, remplir mon sac à dos, marcher jusqu’à la rivière, me jeter dedans, me rendre en vélo à la première colline à la ronde, puis monter et descendre cette colline avec le vélo sur mon dos en espérant tomber sur quelques nids de guêpes, question de m’habituer aux piqures qui allaient vite faire partie de mon quotidien.
Quelques semaines à peine avant le voyage, l’équipe s’est rassemblée à Vancouver par un de ces jours brumeux. On s’est rencontré dans une boutique de plein-air, Kenny Smith, Margus Riga, Fraser Newton et moi-même. On a acheté le nécessaire, on est allé dîner et puis tope-là. C’était notre dernière chance de reculer devant cette expédition qui n’arrive qu’une seule fois dans une vie. Personne n’a reculé. Voilà, on avait notre équipe.
Kenny Smith était le grand manitou. C’est lui qui a imaginé et préparé le voyage. Son amour inébranlable du vélo de montagne l’a mené jusque-là. Terminé pour lui les sauts par-dessus les trains et les descentes de falaises impossibles. Reste que le « Hane Train » est loin d’avoir dit son dernier mot. La suite logique pour un gars comme ça, c’est l’aventure là où peu, sinon personne, n’a encore roulé.
Fraser « Newton » Newton, dit « le Mécano » ou « le Docteur » . Il est aussi bon sur le vélo qu’à côté pour le réparer. Si c’est brisé, il peut le réparer. Si c’est roulable, il va le rouler. Si c’est impossible à réparer, il trouvera quand même une façon de rafistoler le tout pour que vous puissiez avancer. Ses compétences en font un membre nécessaire de l’équipe; son attitude le rend essentiel.
Margus Riga, dit « le Bad Boy de Chilcotin » , serait l’homme de pointe. Habitué de l’arrière-pays, c’était le plus expérimenté du quatuor. Un choix évident pour Kenny : Margus a parcouru le monde à photographier les meilleurs athlètes du sport. L’absence de faiblesse chez ce gars-là saute aux yeux, peu importe si vous skiez ou roulez avec lui. En randonnée ou en montagne avec un vélo sur le dos, il est devant. S’il ne l’est pas, c’est qu’il a repéré un endroit pour immortaliser le moment. Dès qu’il aura remballé son équipement photo, vous le verrez passer et reprendre la tête.
Puis moi, Chester Bush, dit « Le Chet » . Kenny m’avait inclus pour que je raconte l’histoire. J’étais « l’écrivain » du groupe. Ce n’était pas une petite sortie de fin de semaine dans les Chilcotins, donc tout le monde se devait d’avoir un rôle précis. Si écrire le récit était le mien, alors j’allais faire de mon mieux. Mon expérience hors des sentiers battus était limitée, mais j’ai la réputation de ne jamais abandonner et Kenny devait avoir une certaine confiance en moi pour m’inviter. Je crois aussi que Kenny et Margus savaient que j’allais faire de la place dans mon sac pour transporter des pièces de rechanges et des batteries. Un bon mulet quoi!
